Le Moulin de Nouara, du XVe siècle à nos jours

De moulin à papier, puis à farine jusqu’à sa transformation en colonie de vacances, le Moulin de Nouara est un véritable bijou de notre patrimoine, dévoilant tout un pan de l’histoire du bassin ambertois depuis le XVe siècle. Laissé à l’abandon pendant quelques années, le Moulin de Nouara a retrouvé aujourd’hui ses lettres de noblesse, en devenant un lieu atypique mêlant art, culture et villégiature. Une nouvelle page s’ouvre vers un bel avenir pour ce moulin qui nous plonge dans un passé à ne surtout pas oublier.

Un moulin au cœur
de la tradition papetière d’Ambert

Un léger voile de mystère entoure l’arrivée de la papeterie à Ambert. Les légendes s’entrechoquent, certaines datent la naissance de ces moulins à papier au XIIe siècle, les autres au XIIIe, voire au XIVe siècle. L’une de ses légendes prend ses racines à Nouara et raconte que Saint-Louis, le roi de France, revient de la septième croisade (1248 – 1252) en compagnie d’un papetier syrien dénommé Gour Bey. Le roi l’aurait chargé d’implanter des moulins en France. En 1262, le papetier Gour Bey rencontre Eléonore de Baffie – héritière de la châtellenie d’Ambert – à l’occasion du mariage princier entre le fils de Saint Louis et la fille du roi d’Aragon. Nul ne sait comment ces deux personnages tissent des liens, mais la légende dit que ce papetier s’installe à Nouara et au Grand Barot, dans la vallée de Grandrif.
En réalité, ces légendes ont sûrement été colportées par les familles de papetiers de la région (Sauvade,  Montgolfier,  Malmenaide  et  Gourbeyre) dès la fin du XVIIIe siècle, pour asseoir leur légitimité et redorer le blason de leur métier en plein déclin à cette époque dans le Livradois-Forez.

La Papeterie en Livradois-Forez

L’expansion de la papeterie livradoise peut surprendre. Sur le papier, l’enclavement géographique de ce territoire n’était pas propice au développement d’une telle activité, pourtant la papeterie du Livradois fut l’une des plus importantes d’Europe ! Les moulins à papier s’installent sur les bords de la Valeyre près d’Ambert dès 1460 et profiteront de trois évènements qui expliquent leur croissance au XVe siècle :
– l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1455 qui facilite l’impression d’ouvrages en série ;
– la proximité relative des marchands et libraires lyonnais en demande de papier ;
– la baisse des prix des papiers italiens, fournisseurs européens à cette période, ce qui a fortement élargi le marché.

Ces moulins fabriquent du papier à partir de chiffons, et pour cela les papetiers de la région mettent en place un véritable réseau de collecte de cette matière première plus que nécessaire. La qualité exceptionnelle de leurs papiers fera leur réputation auprès des marchands-libraires lyonnais. On dit que la clarté de l’eau dénuée de calcaire serait la raison de cette supériorité du papier Livradois-Forez par rapport aux autres papetiers français. Plus vraisemblablement, il est fort possible que l’ingrédient secret soit l’ajout d’alun dans la pâte à papier. 

Les moulins du Livradois-Forez subissent une première crise à la fin du XVIe siècle, en raison d’une succession de guerres et d’épidémies, mais ce déclin n’est que de courte durée. L’activité est rapidement relancée par l’arrivée de nouvelles familles et surtout par l’ouverture du marché parisien.
Les papeteries en Livradois-Forez vont connaître leur apogée pendant le XVIIe siècle et le début du XVIIIe.

Un nouveau choc intervient entre 1734 et 1763, de nouvelles technologies, venues de Hollande font chuter le prix du papier. Les moulins de la région restent ancrés dans leur savoir-faire traditionnel et sont de moins en moins rentables. La Guerre de Sept ans (1756 à 1763) renforce les difficultés financières des papetiers. 
Un sursaut interviendra grâce à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert dont l’ampleur nécessite un fort besoin en papier pour son édition. À l’époque de la prise de pouvoir de Napoléon Bonaparte, l’embellie s’intensifie au point que la production surpasse celle des périodes les plus fastes du XVIIe siècle.
Mais le XIXe signera la chute vertigineuse des papeteries du Livradois jusqu’à leur disparition au début du XXe siècle…

Le Moulin de Nouara,
une Histoire de familles

En s’appuyant sur les faits historiques, la première mention d’un moulin à Nouara remonte à 1463 sur une reconnaissance de cens (impôt) au seigneur d’Ambert.

Puis vint le temps où vont se succéder des familles aux patronymes encore bien connus dans la région. Tout d’abord les papetiers Joubert, Delaire, Chabanis, Vayssier, Gourbeyre, et Faure, ainsi que les meuniers Tixier et bien entendu Omerin. Le Moulin de Nouara est le théâtre d’une vraie saga familiale, où les héritages et les reventes rythment la vie au bord du ruisseau de Gourre (ou de Nouara) qui rejoint la Valeyre.

Les Familles de Papetiers du XVIIe au XIXe siècle

Les documents historiques nous révèlent l’achat des moulins dit « de Noyras » par Jehan et Martial Joubert en 1606. La famille Joubert restera à la tête de la manufacture papetière de Nouara jusqu’en 1653. Après la vente du moulin à un certain Delaire, qui ne fera qu’un passage éclair à Nouara, deux autres familles, les Chabanis et Vayssier (apparentés aux Joubert) rachètent la papeterie. Quelques années plus tard, le mariage d’une fille Chabanis fait entrer Pierre Gourbeyre dans l’entreprise familiale. Ainsi Pierre et Anne Gourbeyre, par le biais d’héritages et de rachats, récupèrent à eux deux la pleine propriété de tous les moulins de Nouara. Leur fils prénommé Claude sera le premier à être entièrement propriétaire des lieux et à l’origine d’une véritable dynastie de la papeterie.
Plusieurs  générations  de  Gourbeyre  vont  se  succéder  à  Nouara,  avec  comme  maîtres-papetiers : Claude (1670 – 1733), Pierre (1702 – 1782) et Joseph (1734 – 1795).

Après la Révolution française, les droits de succession sont modifiés, ce qui a pour conséquence le morcellement des propriétés entre les héritiers Gourbeyre. À la mort de Joseph Gourbeyre en 1795, les six bâtiments sur le site de Nouara sont donc répartis entre ses quatre enfants : Pierre-Joseph, Joseph (dit le Grand José), Marie-Joséphine (épouse Faure) et Jean-Claude (dit Côte). De nouveau, le Moulin de Nouara est divisé entre plusieurs propriétaires aux aspirations différentes. Marie-Joséphine Faure sera  la  seule  à  poursuivre  l’activité  papetière dans la fabrique dite du milieu, le vieux moulin figure de Nouara, dont elle hérite ainsi que du moulin des Vernières.

Les chiffons auront raison des papeteries du Livradois

Malheureusement les moulins du Livradois, y compris à Nouara, ont du mal à s’adapter aux changements qui bouleversent l’industrie de la papeterie. Alors qu’ailleurs en Europe, les papetiers adoptent de nouvelles méthodes de production, notamment la cellulose de bois, les moulins autour d’Ambert continuent à utiliser les chiffons qui deviennent rares à la cuve. Vers 1850, le Livradois-Forez voit s’éteindre les unes après les autres, les manufactures papetières qui ont fait ses beaux jours. À Nouara, la famille Faure tente de subsister jusque vers 1880, en travaillant les chiffons qui sont “soumis à l’action d’une lessive de chaux et de soude mélangées et chauffées” dans de grands lessivoirs rotatifs. Peine perdue, la fin de la papeterie est inéluctable et seuls deux moulins artisanaux en Livradois sont encore en activité en 1920.

Les Familles de Meuniers arrivent à Nouara à la fin du XIXe siècle

Pendant la deuxième moitié du XIXe, les héritages se compliquent du fait du découpage des moulins entre plusieurs familles. On comprend néanmoins que la papeterie de Nouara se meurt pour laisser place à des moulins à farine. En 1873, le fils aîné du Grand José (famille Gourbeyre) vend la meunerie déjà existante au meunier Jacques Omerin, arrière arrière grand-père de Xavier Omerin, président de la fondation propriétaire actuelle de Nouara.

Quelques années plus tard, en 1888, Jacques Omerin se sépare de son moulin à farine pour le céder à Jean Tixier. Petit à petit, la famille Tixier rachète les bâtiments sur le site de Nouara, notamment le moulin d’En-haut en 1889, puis la moitié de la fabrique du milieu et un tiers du manoir. Les Tixier construisent aussi une ferme (en 1895) et la grange (en 1897) à la place du manoir et acquiert en 1899 la dernière partie de la fabrique du milieu. 

Impossible de savoir combien de temps cette meunerie est restée en activité, quelques indices – l’usure de la meule et une réparation datant des années 1940 – nous permettent cependant d’estimer qu’elle perdura pendant plusieurs décennies. Finalement en 1952, Adolphe Tixier, le fils de Jean, revend une partie de ses possessions à l’Association de l’Arche, organisatrice de colonies de vacances. L’association rachète ensuite le reste des bâtiments appartenant aux Tixier en 1969.

De jolies colonies de vacances à Nouara

Au début des années 1950, l’Association de l’Arche s’installe à Nouara qui devient un lieu d’accueil pour les enfants en colonie de vacances. L’abbé Jacques Duval, dont le souvenir est toujours présent chez les Ambertois(es), a consacré sa vie à animer et entretenir ce domaine. Malgré des moyens financiers limités, l’abbé Duval a réussi à offrir de belles vacances à des milliers d’enfants qui ont pu profiter de la nature environnante chaque été. D’anciens moniteurs de la colonie ont même acheté par la suite d’anciennes papeteries ou maisons aux alentours, un symbole fort de leur attachement à Nouara et à la région d’Ambert.

Grâce à la participation de bénévoles, l’abbé parvient à agrandir le vieux moulin en réparant une partie du bâti en ruine en 1964-65. Les vestiges de l’activité papetière du moulin sont utilisés pour décorer les locaux et les jardins : fond de cuves, bacholes, mécanismes…Une petite chapelle est aussi aménagée avec les moyens du bord dans l’une des caves voûtées du Moulin (elle existe toujours aujourd’hui). Même si l’abbé Duval se démène pour rendre ce moulin confortable pour les enfants, son budget ne lui permet pas de réparer au mieux les locaux qui se détériorent jusqu’à devenir trop vétustes en 2003. À partir de cette date, Nouara est laissé à l’abandon par l’association de l’Arche qui en restera la propriétaire jusqu’en 2015. Entre temps, l’abbé Jacques Duval tombe malade et quitte Ambert en 2012 pour s’installer en Normandie.

Le moulin des belles lettres

À plus d’un titre, la littérature fait partie intégrante de l’histoire de Nouara. Indirectement tout d’abord par son activité de papeterie forcément liée à la naissance physique des livres. Mais plus étonnant, le Moulin de Nouara s’inscrit dans le monde littéraire grâce à l’attachement de trois grands auteurs à ce lieu.

Henri Pourrat (1887-1959), écrivain ambertois d’origine, n’aura de cesse de chanter les louanges du hameau qu’il découvre grâce à autre homme de lettre Jean d’Angeli (poète et écrivain dont la mère vécut au moulin de Valeyre). L’auteur du célèbre roman Gaspard des Montagnes écrira cette magnifique déclaration au sujet de Nouara : « En vérité les fées sont ici. Ce lieu enchante le songe comme un regard, comme les doigts nus et serrés dans la paume » (Les jardins sauvages, p. 27). Une écrivaine contemporaine d’Henry Pourrat sera celle qui livrera le plus beau témoignage sur Nouara. De son vrai nom Jeanne Lichnerowicz, Claude Dravaine (1888-1957) n’est autre que la nièce de Joseph Faure, le dernier papetier de Nouara. Elle ira jusqu’à écrire un livre consacré au métier de papetier en étudiant les archives de sa famille. Son ouvrage, Nouara, chroniques d’un antique village papetier, est une source historique formidable pour mieux comprendre le quotidien des habitants du moulin au XIXe.

À la fin de leur vie, Henri Pourrat et Claude Dravaine reviendront à plusieurs reprises à Nouara pour rencontrer les enfants de la colonie dirigée par l’abbé Duval, et partager leur amour des mots lors de soirées contes inoubliables.

On imagine aisément que Michel Bussi qui fut colon à Nouara dans les années 1970 aurait adoré assister aux lectures de ses illustres confrères écrivains. Ses séjours au moulin lui ont laissé de merveilleux souvenirs de vacances et on nourrit son imaginaire à lui aussi. Dans son roman La dernière licorne (rebaptisé ensuite Tout ce qui est sur terre doit périr), il situe toute une partie de son intrigue au Moulin de Nouara. Et comme un clin d’œil à l’Association de l’Arche, le propriétaire fictif du moulin se fait appeler Noël Archer et accueille ses visiteurs par la présentation de son quartier général : « Bienvenue au Moulin de Nouara, authentique moulin à papier du XVe siècle. Abandonné pendant deux siècles, il a été rénové après la guerre par une armée de bénévoles pour faire une colonie de vacances pour les enfants des villes. Un petit bijou !… »

Deuxième auteur le plus lu en France avec des millions de livres vendus, Michel Bussi est l’un des parrains du centre culturel de Nouara aujourd’hui.

Le Moulin de Nouara : entre tradition et modernité

Papeterie, meunerie, colonie, les moulins de Nouara ont eu plusieurs vies à travers les siècles. Tout comme les autres papeteries des trois vallées entourant la ville d’Ambert, les édifices de Nouara ont souvent changé de visage au cours du temps : constructions, destructions, incendies, inondations, les bâtis présents de nos jours sur le site sont le résultat de ces transformations appartenant à diverses périodes de son histoire.

Livré à lui-même pendant plus d’une décennie, le Moulin de Nouara aurait pu rester une ruine symbole d’un passé révolu, heureusement son histoire continue ! En 2015, sous l’impulsion de Xavier Omerin, la fondation éponyme rachète le moulin avec un projet bien précis : transformer Nouara en centre culturel et touristique. Réhabiliter Nouara est une mission complexe qui va prendre plusieurs années. Des travaux titanesques seront lancés pour moderniser et réparer chaque bâtisse tout en conservant l’esprit des lieux. L’ancien bief est d’ailleurs remis en état et une roue est réinstallée à son emplacement d’origine pour faire tourner un moulin à farine comme à la fin du XIXe siècle. De nombreux éléments appartenant à la papeterie d’antan deviennent des objets de décoration intérieure.

Trois architectes, un scénographe et une décoratrice vont réunir leurs compétences pour redéfinir les espaces, améliorer la circulation et révéler toute la beauté de ce site incroyable. Tous les corps de métier du bâtiment seront mis à contribution et des entreprises de la région vont participer à cette gigantesque rénovation. Tel un phénix, le Moulin de Nouara renaît progressivement de ses cendres en sortant de sa léthargie qui l’avait figé pendant trop longtemps. Aujourd’hui, l’art et le spectacle culturel sont au cœur de son activité. Et si vous avez la chance de séjourner sur place, laissez-vous le temps d’apprécier l’histoire et le charme de ce lieu si vivant à présent.

Source : Moulin de Nouara, des siècles d’histoire, Isabelle AUDINET / Fondation d’entreprise Omerin